Perplexe face au nouveau pouvoir

Madagascar perplexe
face au nouveau pouvoir


Tanguy Berthemet, envoyé spécial à Antananarivo




Au lendemain de la révolution de palais arbitrée par l'armée, les Malgaches s'interrogent sur leur avenir avec Andry Rajoelina, le nouvel homme fort de l'île.


Madagascar a tourné la page de l'ère Marc Ravalomanana en un souffle. Antananarivo a retrouvé son rythme lent des jours calmes. Deux mois de manifestations, une centaine de morts, un coup d'État qui ne dit pas son nom semblent passés sans laisser de trace.
Josepha a retrouvé son bout de marche sur l'escalier où elle vend quelques légumes. Ravie. «C'est fini, on va pouvoir revivre.» L'arrivée au pouvoir d'Andry Rajoelina, le maire de la capitale ? Elle est «contente», sans très bien expliquer pourquoi. Mercredi matin, le maire est revenu une dernière fois sur la place du ­13-Mai, symbole de sa lutte avec le président déchu. Devant ses partisans, Andry Rajoelina a longuement fêté son accession express au pouvoir. Marc Ravalomanana a fui la présidence en quelques heures. À peine avait-il remis mardi son mandat à un groupe d'officiers que ces derniers, pour éviter un coup d'État militaire, investissaient son rival. Le nouveau maître de la Grande Ile justifie plus que jamais son surnom de TGV. Rajoelina, tout juste 34 ans, était encore un inconnu en politique il y a deux ans. Et, il y a dix ans encore, il n'aiguisait ses ambitions que comme disc jokey.
Vers la «IVe République»



Le jeune homme a beaucoup appris depuis. Mercredi, il a ébauché un programme : lutte contre la pauvreté, meilleur partage des richesses. Il s'est surtout attaché à rassurer : «Nous allons assurer le retour à la normale, le rétablissement de la sécurité et, avant tout, la réconciliation nationale, qui est au cœur même de la démocratie.»
Car, derrière le calme, Antananarivo est encore sous le choc. «Tout est allé beaucoup plus vite que prévu», reconnaît un officier. C'est précisément le ralliement à Rajoelina d'une armée furieuse et vexée par la présence de consultants étrangers dans l'entourage présidentiel qui a entraîné la brutale chute de Marc Ravalomanana. Le flou qui règne sur l'avenir ajoute à l'inquiétude. Certes, les ambitions d'Andry Rajoelina sont claires. «Vous pouvez m'appeler président», a-t-il déclaré. Neutre il y a trois semaines, la Haute Cour constitutionnelle a prestement entériné ce nouveau pouvoir. Une grande cérémonie de prise du pouvoir est prévue samedi. Une Haute Autorité de transition, dirigée par un premier ministre, gouverne pour deux ans, selon une ordonnance rendue publique mardi soir. Changement symbolique, elle siégera au palais d'Ambohitsorohitra, en plein cœur de la capitale, non sans l'avoir fait dûment exorciser, par les Mpiandry, des effluves de messes noires dont on accuse volontiers Marc Ravalomanana. Andry Rajoelina a promis d'organiser des élections et de rédiger une nouvelle Constitution pour fonder la «IVe République».
Crainte de nouveaux heurts



Mais ce vernis de légalité ne suffit pas. Car rien n'est encore clair. Ni le sort de l'Assemblée nationale, ni celui du Sénat et des autres institutions. «J'ignore en fait si je suis encore élu», reconnaissait mercredi un député. Des tractations avaient lieu en coulisses pour tenter de rallier au nouveau gouvernement les élus du TIM, le parti de Ravalomanana, ultramajoritaire dans les deux chambres. Une question cruciale pour que le pouvoir soit acceptable aux yeux des gouvernements étrangers. L'Union africaine et l'Union européenne ont fait savoir qu'elles n'approuvaient pas l'instauration d'un gouvernement par la force. Craignant de nouveaux heurts, l'ambassade des États-Unis a ordonné l'évacuation d'une partie de son personnel et de leurs familles.
Les investisseurs et les bailleurs de fonds, dont dépend beaucoup le pays, sont également circonspects. «Avec une grande partie du peuple vivant sous le seuil de pauvreté, la communauté internationale ne peut pas se permettre d'abandonner longtemps le pays. Andry Rajoelina le sait», explique Lydie Boka, spécialiste de l'île. Dans les rues, on craint, comme Harry Ratsimbason, que l'inexpérience du nouveau chef ne favorise le retour des «dinosaures», les partisans de l'ancien dictateur Didier Ratsiraka. Nul ne sait en revanche où se trouve Ravalomanana, que son rival veut toujours arrêter. Mercredi, la rumeur le disait déjà en Afrique, en Amérique ou à Marseille.


.Des partisans d'Audry Rajoelina ont célébré son arrivée au pouvoir mercredi à Antananarivo. Après la chute de Marc Ravalomanana, le flou et l'inquiétude règnent sur l'avenir de Madagascar. Crédits photo : AP